Découvrez le portrait de Georges VACHER, Périgourdin engagé dans la Résistance, l’un de ces braves morts au printemps de la vie, dans les maquis du Haut-Jura.
Par la délibération n° 15 du 9 octobre 1946, le conseil municipal de Périgueux décide de « changer en rue Georges Vacher la dénomination de la rue du Forum ».
Georges Vacher, né le 22 avril 1922 à Saint-Pierre-de-Côle, en Dordogne « a eu, selon Charles Colin, maire de la localité, dans le discours qu’il prononça le 8 mai 1984, une enfance partagée entre Périgueux où il vit avec ses parents et Saint-Pierre-de-Côle où il passe ses vacances chez ses grands-parents. » Bon élève, il passe le certificat d’études avec mention « Très bien », suit les cours de l’école professionnelle et entre tout naturellement, étant fils de cheminot, à l’école d’apprentissage de la SNCF.
Sportif, il pratique l’athlétisme en particulier au C.O.P.O. où il se distingue comme coureur de 800 et de 1500 m. Georges, en effet, affectionne les courses dans lesquelles il a la possibilité de se surpasser, de lutter pour être le premier. C’est ainsi qu’il remporte plusieurs épreuves régionales et se forge un moral d’acier.
Lorsque survient la Seconde Guerre mondiale, il s’engage, en 1941, au 7ème Chasseurs, refusant, dans une France meurtrie et désemparée, de rester derrière son établi. Il est de ceux qui ont la certitude que la lutte reprendra et veut être prêt pour les combats de la Libération.
Le 8 novembre 1942, à la suite de l’opération Torch (débarquement des forces anglo-américaines en Afrique du Nord), au cours de laquelle de Gaulle et, par conséquent, la France Combattante [nouvelle appellation de la France Libre, depuis le 13 juillet 1942] sont tenus hors du coup), l'armée allemande déclenche l'opération « Attila », le 11 novembre 1942 et occupe la zone Sud.
Dès lors, l'Armée d'armistice cesse d'exister et les engagés sont rendus à la vie civile. « Mais, comme le rappelle Charles Colin, il n’y a pas de repos possible pour Georges Vacher qui, aussitôt, se met au service de la Résistance. » Bientôt, avec quelques camarades, il organise le passage en Espagne de réfractaires au Service du Travail Obligatoire en Allemagne.
Selon Francis Paul Patrouilleau, agent de liaison à Franc-Tireur, son assistant, Georges Vacher « préparait les passages en Espagne de ceux qui désiraient s’engager dans l’armée du général de Gaulle » et « prudent, ne laissait partir un convoi que s’il avait des nouvelles du passage heureux du convoi précédent » et d’ajouter : « Pour assurer lui-même la sécurité du passage de trois jeunes gens et de deux jeunes filles (Rebière, Valette, Colache, Yvette et Flora Molho, morte pour la France), il fut pris à Cerbère par la Gestapo avec tous ses camarades ».
C’est en voulant lui-même franchir la frontière qu’il est pris, en mars 1943, avec quatre de ses camarades à Cerbère et enfermé à la citadelle de Perpignan, d’où il réussit à s’évader. Grâce à l’attestation établie le 22 mars 1948 par le chirurgien-dentiste Barbe, exerçant dans la capitale catalane, nous en savons plus sur cet événement : « Le 11 avril 1943, vers 9 heures 30, un jeune homme d’une vingtaine d’années se présentait, essoufflé, à mon domicile, 50 avenue des Baléares à Perpignan. Il demanda à ma femme - j’étais alors à mon cabinet – de lui permettre d’entrer car il venait de s’évader de la citadelle, distante d’environ 30 mères. Ma femme le cacha alors dans le grenier afin que mes enfants, trop jeunes, ignorent sa présence. Elle lui donna à manger car il était exténué. Quand je le vis à midi, il me fit le récit suivant : il s’appelait Georges Vacher. Ses parents habitaient Périgueux, rue du professeur Peyrot. Il faisait partie d’une organisation qui facilitait le passage en Espagne des jeunes gens appelés en Allemagne. Il fut capturé par les Allemands au moment où il allait franchir lui-même la frontière espagnole à Cerbère. Conduit à la citadelle de Perpignan, il y fut interné pendant 33 jours durant lesquels aucun des moyens employés par la Gestapo pour obtenir des "aveux" - en l’espèce des renseignements sur cette organisation de "passage" ne lui ont été épargnés : cellule, jeûne forcé, coups, etc…A deux ou trois reprises, il a été attaché au poteau avec toute une mise en scène pouvant faire croire à une exécution : peloton, fusils braqués… A bout d’un mois, la surveillance s’étant un peu relâchée pendant un changement de garnison, il résolut, avec un autre détenu, de tenter l’évasion. Dans ce but, ils découpèrent deux couvertures en bandes pour en faire une corde et, le 11 avril, pendant une corvée pour laquelle ils étaient tous les deux volontaires dans l’espoir d’y trouver l’occasion de fuit, le gardien s’éloigna pour surveiller d’autres détenus. C’était l’occasion. Aussi, posant leur paquet, ils coururent vers le mur, fixèrent leur corde et le premier se laisse glisser mais l’autre, pris de peur, voulut descendre trop tôt et la corde cassa. Les deux fuyards glissèrent sur le mur en pente et s’en tireront sans trop de mal. A peine en bas, chacun s’en alla de son côté et le jeune Vacher partit à la recherche de l’avenue des Baléares si proche qu’il ne découvrit qu’une heure après. Mon nom lui avait été donné par un de mes amis de Périgueux, son voisin, Monsieur Jeandot. Cette évasion constitue un exploit remarquable, car la Citadelle, placée sur une hauteur, bordée d’un mur de soutènement, domine la ville d’au moins quinze mètres. Le soir même, après m’être assuré que la gare ne semblait pas être particulièrement surveillée, j’y conduisis Georges Vacher, après lui avoir avancé une petite somme et lui avoir pris son billet. Quelques mois plus tard, étant de passage à Périgueux, Madame Vacher, sa mère, en me remboursant, m’apprit qu’il était arrivé sans encombre et qu’il était dans un "maquis" de la région. »
Francis Patrouilleau qui est arrêté, avec sa mère, elle-même membre de Franc-Tireur, suite du démantèlement d’une filière d’acheminement de résistants vers l’Espagne par la Sipo-SD, le 26 mars 1943 et qui, après un internement de sept mois, précise « qu’après s’être évadé de la citadelle de Perpignan, il avait repris le combat dans la région des Eyzies, aux côtés de son oncle, Séverin Blanc. Puis, ajoute-t-il, il avait rejoint, en novembre, l’Ecole des Cadres du maquis du Haut-Jura ».
« Nous étions, nous a confié Joseph Moncassin, un de ses camarades de combat, dans un service dénommé Périclès, formation des cadres pour les maquis. […] Il se créa un cadre paramilitaire susceptible de discipline physique et intellectuelle tout en se préparant à la guérilla pour prendre en main ces jeunes réfugiés dans les forêts et les montagne et éviter le découragement passif. La direction du M.U.R. désigna comme chef national, en avril 1943, Brault et Robert Soulage, alias « Sarrazac » créa le service des Ecoles des Cadres et les maquis-écoles sous le nom de Périclès, avec les maisons-mères "Le Louvre" et "La Lavanderaie". Le maquis du Haut-Jura est issu tout droit des unités de combats Périclès et demeure un exemple de ce qui peut être accompli grâce à une certaine éthique morale. »
Le capitaine Vernerey, alias Martin, qui a eu à son service à l’Ecole des Cadres du maquis du Haut-Jura le soldat Vacher Georges, alias Egward, du 1er novembre 1943 au 21 avril 1944, affirme que « rentré comme simple soldat au maquis, [il] fut nommé très vite caporal grâce à son courage et à sa bonne conduite » et que « toujours volontaire dans toutes les corvées et les coups de main les plus périlleux, il sut se faire aimer de ses chefs et de ses camarades par son entrain et sa bonne humeur ». Il ajoute : « très intelligent, il suivit les cours de l’Ecole des Sergents d’où il sortit dans les premiers. »
Georges Vacher est connu, dans les Maquis du Jura, sous le pseudonyme d’« Egward », Vacher Gabriel, si l’on s’en réfère à l’annuaire du service Périclès et sous celui de « Hecvar » (anagramme de Vacher), pour les auteurs du livre Maquis du Haut-Jura.
« Nous le connaissons sous ce nom » souligne Joseph Moncassin, son compagnon d’armes qui ajoute : « Nous avons pataugé longtemps dans la neige, avec des jours sans ravitaillement, couchant sous les sapins et presque sans armes jusqu’en mars 1944. Les chalets des alpages étaient pour nous des hôtels 5 étoiles quand ils étaient vides mais nous nous chargions de poux et de gale. Pas de lavabo, pas de toilette. Notre insigne, notre écusson : un pou avec une Croix de Lorraine et "Je pique". Nous crapahutions toujours de nuit, souvent le ventre creux, pas longtemps à la même place, sans uniforme. »
François Marcot, dans son ouvrage La Résistance dans le Jura (Edition Cêtre, 1985), parle du « Haut-Jura […] par tradition hostile à l’occupant » qui, « avec ses montagnes et ses bois, […] dispose d’un terrain favorable à la guérilla. » et évoque « les représailles contre la Résistance qui a transformé la région en une zone d’insécurité pour l’occupant ».
« Dès septembre 1943, rapporte Joseph Moncassin, le camp Martin est à Tahure, après un stage aux Tapettes. Georges Vacher est nommé sergent comme tous les cadres (c’est aussi mon grade) et part au camp Daty, au peloton n°2. Début février 1944, le camp Martin éclate pour sécurité (nous n’étions pas encore bien armés) à cause des concentrations allemandes dans le Jura. Nous sommes repartis dans les familles du secteur Nous couchons dans les granges, mais nous sommes bien nourris (appréciable). Cette période de repos dure jusqu’au 15 mars 1944, date du premier parachutage d’armes. "Hecvar" était à Samiat (30 habitants) et moi à Ranchette (50 habitants), distants de 10 km environ. Le parachutage réceptionné, le camp Martin s’installe à la Versanne et commence le dégraissage des premières armes (FM, Sten, grenades,…) Ensuite, on procède à l’installation des Granges, les parachutes nous servant de maison, avec l’aide des sapins. Puis c’est l’aménagement des positions de combat pour les 5 groupes. "Hecvar" fait partie du G1 avec Brest, chef de groupe et moi du groupe 3 avec Rémy, chef de groupe. Nous commençons à peine de récupérer que le vendredi saint 7 avril, les troupes allemandes, estimées à 1500 hommes par le sous-préfecture de Saint-Claude, attaquent le maquis du Haut-Jura et, en premier, notre camp de la Versanne ».
Les Allemands veulent en finir avec la Résistance qui tient les hauts plateaux. « Les barbares du régime nazi, note François Marcot, dans son ouvrage La Résistance dans le Jura, réagissent massivement avec une violence inouïe. A l’aube du vendredi 7 avril 1944, des unités de la Wehrmacht tentent d’anéantir le camp installé dans le bois de la Versanne, au sud de la commune de Larrivoire (Jura). »
Par Joseph Moncassin qui fut l’un des protagonistes de cet affrontement, nous connaissons la suite : « La sizaine Aramis est en place au début du combat puis les hommes du groupe Garrivier, ceux de Brest et le groupe Basané seront vite à leur place. Le groupe Rémy sur la crête sera alerté par les tirs de la sizaine Aramis et ils seront vite repérés par les Allemands en venant sur leurs positions. Dès les premiers tirs, les Allemands lancent des grenades fumigènes afin d’évacuer leurs camions directement menacés et se réfugient dans les fossés, derrière les talus ou à l’abri des tas de fumier disséminés dans la prairie ? Ils essayèrent en vain de mettre en batterie les canons tractés. Vers 11 heures, ils mettent en batterie dans un virage un gros mortier et arrosent systématiquement le sommet du bois. Plusieurs obus tuent Rémy, Dugay, Dutay et blessent sérieusement Bonhomme et plus légèrement Berger, tous du groupe Rémy. L’adjoint du /chef de camp demande à Brest d’envoyer un FM de la sizaine Brution, avec "Hecvar ", Bruno, Thierry et Brution et de prendre position aux emplacements du groupe Rémy décimé et, là, "Hecvar " sera très sérieusement blessé et n’en réchappera pas. Thierry, très sérieusement touché, s’en tirera. Bruno, et Brution seront légèrement touchés. "Hecvar "est blessé à mes côtés (4 à 5 m). Avec Denis, nous étions dans un gros trou fait par un sapin arraché, protégés par les racines, comme je l’écrivais au début de ma lettre. A 17 heures, c’est l’heure du repli avec, comme consigne, de partir avec armement et munitions et d’abandonner toutes nos affaires personnelles dans les haies, ce qui fut fait. Le calvaire débutait pour une quinzaine de jeunes traqués par l’ennemi, sous la pluie incessante, dans les bois, sans habit pour se changer et une nourriture plutôt rare, si ce n’est du lait. »
« Le sergent EGWARD, note le capitaine Vernerey, alias Martin, se distingua tout particulièrement, blessé gravement dans les reins, n’abandonna son poste que sur mon ordre ».
Cependant, comme on peut le lire dans l’ouvrage Vendredi Saint à la Versanne – Haut-Jura, avril 1944, le Maquis témoigne (Imprimerie Gabriel Lardant, Hauteville-Lompnes, 1988), « Hecvar qui a été blessé au ventre en même temps que furent touchés les membres du Groupe Rémy a disparu après que Brest l'ait envoyé se faire soigner dans un premier temps. »
Selon les témoignages et souvenirs recueillis par Rancy pour les besoins du livre Maquis du Haut-Jura, 1943-1944, (C.E. Imprimeries, 1992), « grièvement blessé par éclats de mortier, il disparaît de la tente d’infirmerie où il avait été conduit et se réfugie à la scierie de Vulvoz, au lieu-dit "le Moulin" où Talon et Vaillac le récupèrent et le transportent dans une grange près de Choux. »
Dupré (Louis Sifantus), le médecin du P.C. et le seul de tous nos camps à l'époque sauf erreur qui, envoyé en direction de la Versanne, à la fois en sa qualité de toubib et en tant qu'adjoint au Commandant, arrive dans la nuit, fouille le camp désert et ne trouve que quelques traces de sang. « Dans la matinée du lendemain, lit-on dans Vendredi Saint à la Versanne, il était aux alentours de Choux, allant de ferme en ferme pour essayer de trouver des renseignements et si possible des blessés. Mais les Allemands étaient par là se livrant aux mêmes recherches. C'est alors qu'il découvrit dans une ferme un mourant, dont il ignorait l'identité, et qui avait reçu dans le ventre des éclats de mortier. Il n'y avait déjà plus rien à faire compte tenu du type de blessures dont il était atteint, si ce n'était de rendre sa fin la moins pénible possible. Et entre autres il fallait éviter qu'il soit trouvé dans cette ferme, risquant d'être achevé voire torturé, et ses hôtes fusillés, à tout le moins leur ferme brûlée. Dupré le fit donc transporter dans un abri assez loin de la ferme, masqué par des fourrés très denses. Il devait y recevoir les soins des fermiers qui l'avaient recueilli. » Mais, comme le précise l’ouvrage Maquis du Haut-Jura, « il ne le retrouve pas lors d’un second passage. Son cadavre sera retrouvé le 21 avril sur la commune de Rogna à environ un kilomètre au nord de Choux, au lieu-dit "La Vignette" ».
La mort de Georges Vacher dont Joseph Moncassin dit qu’il « fait à jamais partie de ces braves morts au printemps de la vie » a été à l’origine d’une polémique car le capitaine Vernerey, alias Martin, dans un courrier adressé au père de Georges Vacher met en cause le docteur Constant Bret : « Ce dernier (Dupré), ne pouvant le soigner lui-même, fit appel au docteur des Bouchoux, Maire de cette dernière localité, qui refusa de le soigner "acte de trahison de la part de ce dernier", car si Egward avait eu les soins nécessaires, il serait parmi nous et pourrait fêter notre victoire et continuer avec nous notre glorieux combat jusqu’à la Victoire finale ; malheureusement, par la faute d’un mauvais Français, notre cher camarade est mort pour la Patrie. ».
Le médecin en question, sollicité de façon épistolaire par Gabriel Vacher, le père, lui répond qu’il n’a « jamais refusé de donner ses soins à un blessé quand il pouvait le faire » et tente de replacer l’événement dans son contexte : « La circulation était interdite à tout véhicule […] Mon état de santé m’interdisait et m’interdit encore de longs déplacements à pied. […] Je n’aurai jamais pu me rendre à Vulvoz où était soigné votre fils. […] La mort a été causée par de la péritonite. Il n’était pas question ni de piqûre contre les hémorragies, ni d’une transfusion. Seule une opération pouvait sauver le blessé, opération qui ne pouvait se pratiquer que dans un hôpital, c’est toujours ce que j’ai dit aux personnes qui sont venues me trouver aussi bien qu’à son camarade Marcel ainsi qu’à Mesdames Perrin et Paget. […] Si je suis allé plus tard constater le décès, c’est que la circulation était redevenu libre et j’ai pu aller en vélomoteur jusqu’à proximité du lieu où le corps avait été déposé. » Il constata, précise-t-on dans Vendredi Saint à la Versanne, que « sa mort était due uniquement à la blessure reçue à la Versanne » et qu’« il n'avait donc pas subi de violences ».
Inhumé provisoirement dans le cimetière de Larrivoire, avec ses compagnons d’infortune, avec la bénédiction du curé de Molinges, l’abbé Chapeau, son corps fut enfin transféré à Saint-Pierre-de-Côle, son pays natal où il fut inhumé le samedi 6 juillet 1946 en présence de très nombreuses personnalités (parmi lesquelles l’abbé Jean Sigala, fondateur du mouvement Combat en Dordogne) et d’une nombreuse foule d’amis qui avaient tenu à apporter à ses parents éplorés le réconfort de leur présence.
Aujourd’hui, outre la rue Georges Vacher à Périgueux, le nom de ce héros de la Résistance figure sur le monument érigé entre Larrivoire et Vulvoz, dans le Jura, à la mémoire des victimes des combats de la Versanne (ci-contre)… ainsi que sur la stèle érigée sur le lieu même de sa mort et sur celle de la Vierge, érigée après la Seconde Guerre mondiale, sur la commune de Chassal, dans le Jura, par le Curé Chapeau, avec l’aide de ses amis de la Résistance, sur laquelle sont gravés les noms des victimes, des camarades tués lors des combats de la Versanne.
Merci à notre ami jean-paul Bedoin et au comité ANACR DORDOGNE PERIGORD pour ce travail