Fernand Ibanez, Résistant, Président d’Honneur de l’ANACR Jura, nous a quittés.
Chevalier de la légion d’honneur
Croix de guerre avec palmes
C’est avec une profonde tristesse que les membres de l’ANACR du Jura apprenaient, jeudi 24 septembre au soir, la disparition de Fernand, Président d’Honneur de l’ANACR Nord-Jura, dont il était membre et avait été le Président. Il a également été président de l’ANACR de l’Aube et y a beaucoup œuvré pour la mémoire de ses camarades. Profondément humain, simple et à l’écoute de tous, Fernand demeurera un exemple pour tous les membres de l’ANACR qui le pleurent aujourd’hui...
Intervention de Jean-Claude Herbillon, président de l'ANACR Jura, obsèques de Fernand Ibanez le 1er octobre 2020 :
Fernand Ibanez est né le 26 octobre 1919 en Espagne. Il arrive en France dès son plus jeune âge. Après un séjour à Paris puis en banlieue, la famille s’installe dans l’Aube à Saint Mars en Othe où ils seront bûcherons puis agriculteurs.
Peu avant la guerre il est naturalisé français et en 1939 il est militaire dans l’aviation à Dijon puis au Moyen-Orient. En mai 1940 alors qu’il est en permission dans son village le territoire est envahi par les nazis, c’est la défaite.
Fernand décide alors de na pas rejoindre son unité, il est donc comme déserteur, ce qui lui attirera des ennuis avec la justice militaire après la guerre d’autant plus qu’il avait refusé de partir en Indochine, son parcours de héros de la Résistance lui évitera une condamnation.
Il est donc clandestin dès 1940, dès juin il lui semble qu’il y a des choses à faire et des rencontres possibles. Il participe activement à la structuration de la Résistance en pays d’Othe sous le pseudo de « Nando ».Les premières réunions dans le village se situent en 1941 c’est aussi les premiers regroupements dans l’Aube le bouche à oreilles fonctionne.
En 1942 il organise des réactions aux réquisitions. Il entre en contact avec le BOA bureau des opérations aériennes et participe aux choix des terrains clandestins au premier parachutage au lieu-dit « la lisière des bois ». Il a participé à plusieurs dizaines de parachutages d’armes, d’agents britanniques et de Français libres. Il est adjoint pour le BOA alors qu’il a 23 ans. Il fait aussi des liaisons avec la Nièvre pour livrer des armes et du matériel. Il échappera de justesse à une arrestation.
En 1944 son maquis BOA est de 150 hommes. Il faut alors s’organiser et former les jeunes recrues.
Des chefs de la Résistance sont hébergés dans la ferme familiale. Il est recherché, il échappe de justesse à une opération d’envergure des GMR (groupes mobiles de réserve) mais il faut déménager les armes dans d’autres lieux.
Le 20 juin 1944 1500 allemands attaquent son maquis où ils sont environ 300. 27 résistants furent massacrés ce jour-là et atrocement mutilés.
Grâce entre autres à « Nando » et à une excellente organisation tous les autres maquisards purent échapper à cet enfer par un repli en bon ordre vers d’autres maquis pour reprendre la lutte. Les noms de ces 27 braves « tous mes camarades » comme disait Fernand avec émotion 70 ans après le jour où l’on a recueilli son témoignage vidéo. Les noms des 27 braves sont gravés disais-je sur un monument. C’est pour honorer leur mémoire et celle d’autres de ses camarades que Fernad Ibanez a créé le chemin de mémoire qui part de Nogent en Othe jusqu’à l’emplacement des maquis. C’est là que de nombreux enfants des écoles se retrouvent chaque Anne avec leurs professeurs.
Après ces événements de 1944 Nando quitte le BOA et dirige une compagnie FTP avec le grade de lieutenant. Ils participeront à la libération de Nancy, Metz, Forbach, Sarreguemine et Bingen en Allemagne. La compagnie sera alors rattachée aux unités de l’armée Patton.
Après sa libération il n’aura de cesse de transmettre la mémoire de la Résistance et de ses valeurs jusqu’à ce que sa santé déclinante l’amène à se mettre en retrait de notre association.
Président de l’ANACR de l’Aube pendant de nombreuses années, Président du comité Jura nord de l’ANACR à la fin des années 90,
Co-président départemental de l’ANACR Jura avec Roger Pernot et Jean Machuron en 2000.
Il a été membre du conseil national pendant de nombreuses années.
En 2010, lors de notre congrès départemental à Saint-Claude en présence de Raymond Aubrac, il est co-président avec Jean Machuron et moi-même.
J’ai le souvenir ce jour-là, d’une tribune debout entonnant le chant des partisans, elle était composée de Francis Lahaut alors maire de Saint-Claude, de Fernand Ibanez, Raymond Aubrac, Jean-Claude Herbillon, Jean Machuron et René Lançon. Il était très fier d’avoir présidé l’assemblée en compagnie de Raymond Aubrac et il n’eut de cesse de faire baptiser une rue Lucie et Raymond Aubrac à Dole. Cette rue il l’a inaugurée en 2014, 2 ans après le décès de Raymond Aubrac, en présence des élus et d’Elisabeth Helfer-Aubrac la fille des résistants qui s’était déplacée de Paris pour cette cérémonie.
En 2012 encore président départemental de l’ANACR Fernand a tenu une grande place lors du congrès national à Lons le Saunier. Il était chargé par le bureau national du discours de bienvenue aux congressistes. Son ami Raoult Perrin membre de l’ANACR avait tenu à venir à ce congrès afin de voir son chef Nando. De retour de ce congrès Raoult Perrin avait dit au président de son comité départemental : " Maintenant, je peux mourir heureux". C'est vous dire l'estime qu'avaient pour lui ses camarades de Résistance. Irone de la vie: ils sont décédés à une semaine d'intervalle.
Très connu au niveau national il rencontrait toujours des amis lors des nombreux congrès nationaux auxquels il a participé. Pour ma part j’étais avec lui au congrès de Limoges en 2006, à Marseille en 2008 et à Lons en 2012.
Le congrès national de l’ANACR 2020 aurait dû avoir lieu à Troyes début octobre dans son département de résistance. Annulé pour cause de Covid il est repoussé en 2021. Nul doute qu’à cette occasion un bel hommage sera rendu à Fernand. Mais je peux vous dire que dès demain un hommage solennel lui sera rendu dans l’Aube en présence des autorités et de nombreux porte-drapeaux.
Aujourd’hui il nous reste le souvenir, un modèle de fraternité et de convivialité. Il nous reste des photos, une vidéo réalisée il y a quelques années et puis par moment nous reviennent en mémoire des anecdotes ou des bribes de ses nombreux discours (fleuve parfois) qu’il nous distillait au bois des Ruppes ou lors de nos différentes AG.
Salut Fernand et vive l’ANACR pour laquelle tu as énormément fait.
Intervention de Danièle Ponsot, présidente du comité local de l'ANACR Nord-Jura, obsèques de Fernand Ibanez le 1er octobre 2020 :
Je ne reviendrai pas sur l’exemplaire parcours de Résistant de Fernand, Jean-Claude l’a tellement bien évoqué !
Son parcours politique, qui sera relaté par Alain montre aussi à quel point Fernand était un homme d’engagement.
Membre de l’ANACR Nord-Jura depuis 2010, j’ai tout de suite compris que j’étais en présence d’un homme extraordinaire. Sa faconde, sa générosité, sa chaleur, sa hauteur de vue, son grand talent oratoire tenaient l’auditoire en haleine d’un bout à l’autre de ses interventions.
Qui ne se souvient pas de ses émouvants discours du Bois des Ruppes ?
Mais cet homme extraordinaire était aussi un modèle de gentillesse et d’ouverture d’esprit. Toujours à l’écoute, Fernand ne manquait jamais de me rappeler notre proximité d’origine : en 1914, mes grands-parents paternels étaient eux aussi venus d’Espagne (où mon grand-père, petit pêcheur professionnel, avait du mal à faire vivre sa famille de 8 enfants) pour « tenter leur chance » en Algérie.
Lorsque, au départ de Robert SBALCHIERO, l’ANACR Nord Jura s’est trouvée sans président, Fernand donc m’a sollicitée puis encouragée à me présenter à cette élection. Sans doute avait-il eu connaissance, par Hubert, Chaussinois comme moi, de la place que j’accordais, dans les interventions au monument aux morts du maire que j’étais alors, au respect du devoir de mémoire et à la transmission du souvenir aux jeunes générations.
C’est Fernand, avec Jean-Claude et Hubert, qui m’ont convaincue d’accepter cette mission et c’est avec une grande fierté et aussi la crainte de ne pas être à la hauteur du monument qu’était, pour moi, Fernand, que je me suis vue élue.
Il m’a toujours attentivement écoutée et conseillée lorsque mon rôle a été de succéder à Robert au Bois des Ruppes.
Il faut dire que cette commémoration tenait particulièrement à cœur de Fernand et nous nous souvenons tous de sa silhouette, fièrement dressée devant la stèle érigée par la Mairie de Brevans en ces lieux où avait été commis le massacre du 11 septembre 1944 avec, jamais très loin de lui, la silhouette discrète et attentive de Nelly, sa chère compagne.
Je sais qu’aujourd’hui notre ami Gérard Fumey, ancien maire de Brevans, malheureusement absent, pense très fort à nous et surtout à son vieux copain, à toi Fernand ! J’ai aussi une pensée pour tous nos amis de l’ANACR qui, anciens résistants fatigués par l’âge ou amis retenus par la maladie, ne peuvent être à nos côtés pour cet hommage....
Au cours de mes recherches sur l’homme que fut Fernand, j’ai trouvé, dans le petit livre qu’il m’avait offert « Si la Résistance m’était contée », plaquette éditée par ses chers amis du comité du pays d’Othe de l’ANACR de l’Aube, quelques phrases de textes qu’il avait écrits et qui montrent, mieux que je ne saurais le faire, quel homme d’engagement il était et ce, depuis toujours !
Très jeune, il avait vu le danger fondre sur l’Europe, comme un aigle sur sa proie !
« Le jeune que j’étais, non engagé politiquement dans le sens où on le dit aujourd’hui, fut lucide et j’ai compris toute l’importance des événements qui se développaient alors….
Le Front Populaire, le gouvernement de Léon Blum…eurent à mes yeux des effets déterminants sur la formation de ma propre personnalité… »
Et, plus loin :
« Le jeune homme que j’étais en ce mois de mai 1938 fut particulièrement sensibilisé par la défaite de la république espagnole, vaincue par l’intervention massive des détachements militaires et le puissant armement mis à la disposition de Franco par l’Allemagne hitlérienne et l’Italie de Mussolini.
J’avais le sentiment que cette intervention militaire en soutien au mouvement franquiste espagnol, apparaissait à mes yeux comme une répétition générale avant le déclenchement de la Grande guerre mondiale. »
Cependant, ce héros qui jamais n’oublia son passé de Résistant, ni ses amis de souffrance, avait les yeux fixés sur l’avenir et une grande ouverture d’esprit. Pour illustrer cette ouverture d’esprit, il me revient à l’esprit une anecdote, racontée par Garance : au cours d’une intervention au congrès de 2009, à la maison commune de la Marjorie, à Lons, l’ANACR discutant de l’opportunité d’élaborer un site Internet, Fernand, qui n’avait ni Internet ni ordinateur mais qui était conscient de l’importance de ces nouveaux véhicules de la connaissance, avait lancé :
« Je n’y comprends rien du tout mais c’est essentiel ! »
Exhorter les jeunes à ne jamais oublier, ne jamais céder aux sirènes de la xénophobie et de l’obscurantisme, voilà quel devait être notre rôle, à nous, membres de l’ANACR !
Mon cher Fernand, c’est cela que tu avais sans cesse à cœur de nous inculquer ! Après la Croix de guerre avec Palme, ton activité t’a valu en 2015 la décoration de Chevalier de la Légion d’Honneur, dont tu étais, à juste titre, si fier, puis un peu plus tard, la médaille d’honneur de la Ville de Dole.
Aujourd’hui, Fernand, nous qui sommes si fiers et heureux de t’avoir connu, nous ne te disons pas : Adieu, non, juste : Au revoir !
Tu as été et restes pour nous tous un modèle, un exemple à suivre et nous nous efforcerons, de toutes nos forces, de nous montrer dignes de toi !
MERCI, Fernand ! Que l’ANACR continue dans la voie que, comme tant de nos camarades, tu as tracée pour nous !
Pour finir l'intervention de l'ANACR c'est Garance Herbillon porte-drapeau qui a chanté le chant des partisans...